Fructification d’Euonymus europaeus © Wildfeuer, Wikimedia Commons

S’il y a bien un sujet qui a déjà été couvert de long en large sur le jardin, c’est le thème des couleurs et de leur combinaison. A cet égard, le livre de Gertrude Jekyll Color Schemes for the Flower Garden reste une référence absolue que j’invite chacun à lire. Pourtant, je dois bien avouer qu’à sa première lecture, je fus un peu déçu. En bon scientifique, je m’attendais à une théorie clairement énoncée, un ensemble de règles à suivre pour assurer le succès d’une composition. A l’inverse, c’est plutôt une suite d’exemples que l’on découvre à travers la description au fil des saisons du jardin de Jekyll à Munstead Wood. D’autres après elle ont tenté de théoriser son approche, notamment l’utilisation de la roue des couleurs qu’elle connaissait sans doute vu son éducation aux beaux-arts, mais cela reste de relativement peu d’utilité lorsqu’il s’agit d’imaginer des combinaisons. La vrai innovation de Jekyll est sans doute l’idée de dégradé de couleurs de ses plantations en coulées. En pratique, ces dégradés sont très durs à réaliser, il suffit qu’au gré de la météo, une plante de la combinaison soit un peu avancée ou retardée et la rencontre imaginée sur le papier ne se produit pas. Beaucoup dépend donc du génie du jardinier et de son expérience pratique.

Il n’y a pas non plus de sujet qui polarise plus que celui-ci, tant le goût des couleurs est influencé par les modes ou les codes sociaux. Que quelqu’un prétende successivement qu’il n’aime pas le rouge mais qu’il adore les coquelicots relève une certaine ambiguïté.  Autre exemple, au détour d’un article de Robin Lane Fox dans le Financial Times, on découvre le point de vue d’un ancien CEO qui juge que l’orange fait « plantation municipale » et est donc banni de sa propriété. Cette acceptation aveugle d’idées préconçues liées à son milieu – ou celui auquel on voudrait appartenir – c’est au-delà de pathétique. En outre, pour chaque exemple de combinaison de couleurs décriée, on peut trouver un exemple de plante qui les combine à merveille. Je pense par exemple à la combinaison rose-orange, que l’ont retrouve dans les fructifications d’Euonymus europaeus ou sur le Rosa rugosa ‘Frau Dagmar Astrup’, dont les cynorrhodons oranges commencent à apparaître en milieu de saison au côté de remontée de floraison rose.

La position des paysagistes à ce sujet a clairement évolué ces dernières années avec des pionniers comme Piet Outdolf, concepteur des plantations de la High Line à New-York. Cette nouvelle approche s’inspire de l’observation de la Nature, qui réalise les juxtapositions de couleurs les plus audacieuses, mais dont l’ensemble semble toutefois harmonieux car dilué par la dominance du vert. On s’aperçoit ainsi que l’on a donné trop d’importance à la couleur, lié à la floraison, par nature éphémère, au détriment d’autres caractéristiques plus pérennes des plantes, telles que leur structure, l’intérêt de leur feuillage…

Rétrospectivement, je suis content que Jekyll ou d’autres ne nous aient pas légué de règles strictes ; c’est à chacun de mener ses expérimentations, en sachant s’affranchir de certaines conventions. On retiendra pour finir la démarche de Vita Sackville-West qui parcourait à la belle saison son jardin et procédait de l’expérimentation en rapprochant l’une de l’autre des fleurs coupées. Sans oublier de consigner ses résultats dans un calepin pour s’en souvenir au moment de passer à l’acte.